Quelle approche pour définir la Raison d’Être d’une entreprise ?

Chaque jour, l’actualité mondiale nous confirme l’importance et l’urgence des enjeux sociétaux et environnementaux. Les générations actuelles portent toutes une responsabilité vis-à-vis des générations futures sur les conditions dans lesquelles ces dernières pourront vivre.

Toutes les composantes de la société civile sont concernées, y compris les entreprises. Les entreprises ont une responsabilité majeure tant du fait de leur impacts potentiellement négatifs sur leur environnement au sens large que par les solutions qu’elles peuvent apporter, tout comme chacun d’entre nous dans notre vie personnelle, de consommateur, professionnelle.

De nombreuses initiatives ont été prises de façon volontaire par différentes associations professionnelles d’entreprises et par leurs adhérents pour une meilleure prise en compte des enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux.

De nombreux textes législatifs et réglementaires français paraissent régulièrement dont ceux sur la déclaration de performance extra-financière, la loi sur le devoir de vigilance, sur les lanceurs d’alerte (loi Sapin 2).

Plus récemment, suite au rapport Notat-Senard et dans le cadre de la loi PACTE,

  • l’article 1833 du Code civil dispose maintenant, dans sa définition de l’objet d’une entreprise, que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité»,
  • l’article 1835 du Code civil, donne la « possibilité aux sociétés qui le souhaitent de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts »

Alors, qu’entendons-nous par Raison d’Être ?

Le législateur ne donne pas de cadre précis pour le contenu d’une Raison d’Être. La raison d’être d’une entreprise est censée exprimer son projet sur le long terme, au service de l’intérêt collectif.

Les entreprises qui en ont publié n’utilisent pas un modèle commun.

Quel contenu pour une Raison d’Être ?

– Le chapeau d’une Raison d’Être en une phrase

La Raison d’Être comme la Vision s’exprime d’abord par une phrase courte source d’inspiration :

  • Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre (Danone)
  • Un monde dans lequel personne ne doit souffrir ou mourir d’une maladie évitable par un vaccin (Sanofi Pasteur)
  • Ressourcer le monde (Veolia)
  • Offrir à chacun une meilleure façon d’avancer (Michelin)
  • Améliorer le quotidien du plus grand nombre (Ikea)

Nous avons entendu un jour un Dirigeant d’entreprise dire que la Vision est un rêve avec une date. La notion de rêve s’inscrit dans cette volonté d’inspirer, d’aller au-delà, de sortir d’un cadre de référence limité au « business as usual ».

La Raison d’Être décrit un rêve qui, au-delà du business, intègre les enjeux sociétaux. Comme la Mission liée à la Vision, la Raison d’Être décrit la voie pour concrétiser ce rêve à long terme.

– Une Raison d’Être explicite, action de gouvernance, de management et de partage

Au-delà d’une phrase percutante, inspirante, la Raison d’Être sera crédible dans la mesure où elle sera décrite en termes d’engagements. Cette Raison d’Être est un engagement de la gouvernance de l’entreprise. C’est pourquoi le Comex (Comité Exécutif), le Codir (Comité de Direction) qui la définit, en finalise les termes, doit la soumettre au Conseil d’Administration, de Surveillance ou de Famille.

Ikea affirmait dans une de ses communications corporate : pour mettre en œuvre notre idée des affaires il faut avoir un rêve. Mais Ikea affirmait ensuite : pour transformer ce rêve en réalité, il faut des gens. Car cette Raison d’Être est aussi un engagement du management, un engagement de tous au sein de l’entreprise et un acte de partage avec son écosystème.

Elle n’aura de sens, ne donnera du sens, n’inspirera, que si elle est un engagement partagé avec l’ensemble du personnel de l’entreprise d’abord, puis avec ses parties prenantes externes. Les parties prenantes externes sont effet, avec les mégatrends, les 2 composantes majeures de l’écosystème impactant l’entreprise et impactées par elle.

Bob Eccles (auteur du One Report et promoteur de la Pensée Intégrée) s’est exprimé récemment sur le contenu du « purpose » d’une entreprise en recommandant particulièrement le fait d’y mentionner les parties prenantes critiques pour la création de valeur durable (et pas uniquement les actionnaires) et l’horizon pour lequel elle définit sa stratégie et l’évalue (à long terme et non à 1 an).

Certaines des premières Raisons d’Être publiées en France mentionnent d’ailleurs dans leurs textes leurs parties prenantes critiques (clients, collaborateurs/salariés, instances représentatives du personnel, territoires, société…)

Alors, comment mettre en place une Raison d’Être qui soit un engagement de gouvernance, de management et de partage au sein de l’entreprise et avec ses parties prenantes ?

Le législateur ne donne pas de cadre précis pour le contenu d’une Raison d’Être. La raison d’être d’une entreprise est censée exprimer son projet sur le long terme, au service de l’intérêt collectif.

Comment définir sa Raison d’Être ?

Comme nous l’avons évoqué en première partie de cet article, une Raison d’Être est un engagement de gouvernance, de management et de partage au sein de l’entreprise et avec ses parties prenantes. Pour cela, la définition de cet engagement peut se concevoir en 3 phases.

Première phase

En première phase, la Raison d’Être est définie en prenant le temps d’associer l’ensemble des directions de de l’entreprise. Qu’une Vision, une Mission aient déjà été définies ou non dans l’entreprise, la direction en charge la préparation de la Raison d’Être, associée à priori à la direction Développement Durable, peut s’appuyer sur les autres directions fonctionnelles et opérationnelles de l’entreprise pour collecter les concepts, les mots qui décriraient le mieux cette Raison d’Être.

Selon la culture de l’entreprise, 2 scénario peuvent ensuite être envisagés :

  • Soit le Comex, le Codir, définit une formulation de la phrase résumant cette Raison d’Être et la diffuse au sein d’entreprise pour la phase suivante
  • Soit le couple Vision/Mission existant et/ou les diverses formulations de Raisons d’Être tirées des échanges entre les différentes directions sont diffusés par le Comex, le Codir, au sein d’entreprise pour la phase suivante.

Deuxième phase

La phase suivante consiste à donner de la chair à cette Raison d’Être, à compléter la phrase résumant cette Raison d’Être, par l’Ambition RSE (Responsabilité Sociétale d’Entreprise), c’est à dire les axes d’engagements de l’entreprise vis-à-vis des enjeux sociaux /sociétaux et environnementaux.

Cette phase passe par une interrogation en interne pour décliner cette Raison d’Être exprimée jusque-là en une phrase et en externe afin d’intégrer les attentes de ses parties prenantes et les grands enjeux du futur (les mégatrends).

Si l’entreprise a déjà réalisé son analyse de matérialité, ces éléments sont en grande partie disponibles. À ce moment les engagements sont définis, des principes d’actions sont évoqués et des indicateurs peuvent être déjà en place pour suivre ces actions.

Cette phase implique une démarche collective de réflexion de tous dans l’entreprise.

La Raison d’Être de l’entreprise aura en effet réellement du sens pour tous dans l’entreprise (et pas seulement au sein de son siège) dans la mesure où ces engagements sont ensuite discutés au sein des différents établissements, services de l’entreprise, quels qu’ils soient.

Cette étape doit déboucher sur des actions concrètes, des indicateurs clés, des objectifs qui entraîneront tous au sein de l’entreprise.

Le management intermédiaire a un rôle crucial à ce stade pour organiser les débats afin que chacun s’approprie les engagements liés à la Raison d’Être, que les actions soient déclinées au niveau du terrain et que les indicateurs soient des instruments de pilotage sur le terrain avant d’être des indicateurs corporate (agrégés à partir des données terrains).

Dernière phase

À partir des informations remontant du terrain la Direction Générale dispose des éléments pour rédiger la Raison d’Être. Le document rédigé par la Direction Générale peut ensuite être présenté et, en cohérence avec la culture de l’entreprise, discuté avec ses parties prenantes internes et externes, Instances Représentatives du Personnel, Comité de Parties Prenantes …

Si un Comité de Parties Prenantes n’est pas en place, ce peut être l’occasion d’en créer un, en n’oubliant pas d’y prévoir l’expression de la Voix de l’Environnement (voir la note de la Fabrique Écologique sur le sujet).

À l’issue de cette 3ème phase, la Direction Générale de l’entreprise pourra afficher une Raison d’Être exprimée en une courte phrase inspirante, supportée en quelques très très courts paragraphes par une déclinaison, qui permettra non seulement de comprendre ce qui caractérise l’entreprise et son activité, mais aussi ses grands engagements RSE, sa prise en compte des enjeux sociaux/sociétaux et environnementaux.

Mais cette Raison d’Être, si elle paraît nécessaire, n’est pas suffisante. Cette Raison d’Être ne peut pas tout décrire. D’où l’importance du reporting extra-financier et/ou des communications RSE de l’entreprise, quels que soient les supports, pour décrire plus en détail les actions mises en œuvre, les preuves associées, les résultats sur les indicateurs de moyens et de résultats mis en place, comparés à des objectifs affichés qui entraîneront chacun dans l’entreprise et crédibiliseront la démarche RSE de l’entreprise auprès de ses Parties Prenantes.

Sans nécessairement solliciter le statut de société à mission, certaines entreprises pourront souhaiter brièvement mentionner dans leur Raison d’Être quelques objectifs à long-terme en nombre très limité sur quelques indicateurs clés de performance pour leurs engagements majeurs.

Trop long, un tel processus ?

C’est sans nul doute le reproche qui peut lui être adressé. Mais c’est la garantie d’une Raison d’Être robuste, partagée et crédible. Le temps passé dépendra aussi de la taille de l’entreprise, notamment pour la partie reporting extra-financier et/ou des communications RSE de l’entreprise, qui pourra être progressivement développée en commençant par les enjeux majeurs.

La Direction en charge de la RSE sera d’autant plus suivie dans cette démarche que la Direction Générale de l’entreprise sera convaincue et aura donné toute légitimité à cette démarche par son propre engagement et sa communication sur le sujet dès le lancement du processus, en insistant sur la nécessité de prendre le temps.

L’objectif ne saurait être de « sortir rapidement une Raison d’Être » parce que les concurrents viennent de le faire. C’est un processus qui doit donner le temps au temps, le temps de réfléchir, de partager, de peser … sans toutefois que le processus finisse par se perdre dans la nuit des temps.

À l’issue de ce processus, cette Raison d’Être doit pouvoir ensuite être gravée dans le marbre, que ce soit dans les statuts ou dans la communication interne et externe de l’entreprise.

Elle aura été « pesée » pour durablement guider l’entreprise et partager son rêve.

Article rédigé par : Gérard Langlais – Consultant ARCLÈS

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