La problématique de « l’hydrogène vert »

L’hydrogène est un carburant « magique » dont la combustion ne produit que de l’eau, c’est le seul carburant dont la combustion n’émet pas de CO2. C’est en raison de cette propriété que l’hydrogène est actuellement l’objet de toutes les attentions.

Sur terre, l’hydrogène n’existe pratiquement pas sous forme libre à l’état naturel. Il existe principalement sous forme d’hydrocarbures et d’eau qui sont actuellement les deux sources pour produire l’hydrogène.

Ainsi l’hydrogène n’est absolument pas une source d’énergie, mais c’est un « vecteur d’énergie » comme l’est par ailleurs l’électricité. Sa grande supériorité sur l’électricité est qu’il est beaucoup plus facilement stockable ce qui renforce considérablement son intérêt.

Ainsi on pourrait donner la définition suivante de l’hydrogène : « l’hydrogène est un vecteur d’énergie facilement stockable dont la combustion ne produit aucun gaz à effets de serre ».

L’hydrogène est déjà produit actuellement en très grande quantité dans le monde avec de nombreuses applications industrielles. On peut citer deux des principales utilisations de ce gaz :

  • La synthèse de l’ammoniac (NH3) qui est à la base de la production de la plupart des engrais et joue ainsi un rôle majeur dans l’agriculture.
  • L’hydrogène est aussi la molécule qui vient capter le soufre dans les hydrocarbures pour produire des essences et des diesels sans soufre. Il joue ainsi un rôle central dans l’industrie du raffinage. Il est important de produire des carburants sans soufre pour que leur combustion ne produise pas dans l’atmosphère des oxydes de soufre qui sont des polluants particulièrement nocifs. Une autre raison essentielle de pouvoir disposer de carburant sans soufre est liée au fonctionnement des pots catalytique des voitures : le soufre est un poison des catalyseurs. Ainsi pour fonctionner correctement les pots catalytiques des voitures nécessitent absolument des carburants sans soufre. L’utilisation actuelle de l’hydrogène joue ainsi à ces deux titres un rôle majeur dans la réduction des polluants atmosphériques.

La production d’hydrogène dans le monde se réalise [1] actuellement à plus de 90% à partir de gaz naturel et émet beaucoup de CO2, c’est ce qu’on appelle « l’hydrogène gris ». La production d’une tonne d’hydrogène émet ainsi environ 10 tonnes de CO2. On voit que cet « hydrogène gris » ne présente donc que très peu d’intérêt du point de vue environnemental.

La question centrale concernant l’hydrogène devient donc : « Comment produire de l’hydrogène sans émettre de CO2 ». La solution existe depuis longtemps et utilise comme source non les hydrocarbures mais l’autre source d’hydrogène disponible sur terre : l’eau. La technologie existe aussi depuis longtemps : c’est l’électrolyse de l’eau.

La solution concernant la production d’hydrogène respectueuse de l’environnement apparait ainsi clairement : l’électrolyse de l’eau à condition bien sûr d’utiliser pour cette électrolyse de l’électricité produite à partir d’énergie renouvelable, énergie hydraulique, éolienne ou photovoltaïque. On fabrique ainsi ce que l’on appelle de « l’hydrogène vert » [2].

 

Problèmes technologiques de la production d’hydrogène vert

Le premier sujet concerne la construction de grands électrolyseurs de puissance. De nombreux acteurs industriels se sont emparés de ce sujet dans le monde, deux technologies matures sont disponibles [3] et de nombreux projets de très grandes usines de construction d’électrolyseurs (appelées « gigafactories ») sont en train de voir le jour. Dans les technologies matures d’électrolyse les rendements de production sont très voisins. Ainsi un très grand électrolyseur de 100 MW [4] produit environ 40 tonnes par jour d’hydrogène. Grace à l’effet d’échelle des gigafactories, les coûts des électrolyseurs de grande taille vont ainsi probablement baisser, mais cette baisse sera modeste étant donné que les technologies pour construire de telles machines sont déjà bien connues.

Le véritable sujet concerne plutôt la disponibilité d’électricité renouvelable en très grande quantité. Les grands sites de barrage pour produire de l’électricité sont déjà la plupart du temps exploités dans le monde et il semble ainsi très difficile de construire de nouveaux grands barrages. L’électricité renouvelable à prendre en compte sera donc principalement d’origine éolienne ou photovoltaïque. A ce stade de notre raisonnement il faut prendre en compte une caractéristique très importante des énergies éoliennes et photovoltaïques : leur intermittence. Ainsi pour produire en moyenne 100 MW avec une centrale photovoltaïque dans le midi de la France, il faut construire une installation d’environ 630 MW crête [5]. Cela représente ainsi une surface au sol d’environ 600 ha [6].

Ainsi apparait clairement une des premières contraintes de la production d’hydrogène vert : la disponibilité de grands espaces pour construire de très grandes installations photovoltaïques. Le problème se pose de façon un peu différente pour l’éolien mais la conclusion est la même : il faut de très grands espaces à terre ou en mer pour construire ces fermes éoliennes destinées à produire de grandes quantités d’hydrogène vert.

Un autre sujet d’importance pour les grands projets d’hydrogène vert, particulièrement dans les zones arides, est la disponibilité d’eau, ressource appelée à devenir de plus en plus rare dans ces régions en raison du changement climatique.

Ces très grands espaces indispensables à la production d’hydrogène vert ne se trouvent généralement pas au voisinage des futurs grands centres de consommation d’hydrogène, c’est-à-dire les grandes agglomérations, pour alimenter les véhicules en hydrogène ou les grandes zones industrielles qui pourront utiliser cet hydrogène vert, et donc remplacer l’hydrogène gris utilisé actuellement dans l’industrie du raffinage ou de l’ammoniac [7].

Deux schémas de production se dessinent donc clairement :

  • Soit on implante les électrolyseurs près des zones de consommation et on fait transiter l’électricité verte produite par les installations photovoltaïques ou éoliennes vers ces électrolyseurs à travers le réseau de distribution électrique déjà existant. On transporte ainsi des « électrons verts ». Ce transport a bien sur un coût et ne peut se réaliser économiquement au-delà d’environ 500 km.
  • Soit on implante les électrolyseurs au plus près des installations éoliennes ou photovoltaïques et on transporte l’hydrogène vert produit vers les utilisateurs. La technologie de transport de l’hydrogène sous pression par canalisation est bien connue. Plus de 4.000 km de canalisations d’hydrogène [8] existent déjà dans le monde. Ce transport présente aussi un coût très important en particulier lié au coût de construction de ces nouvelles canalisations d’hydrogène [9]. Par ailleurs la question de l’acceptation sociétale de ces nouvelles canalisations sera à prendre en compte.

Comment stocker l’hydrogène vert ?

L’hydrogène est bien plus facilement stockable que cet autre vecteur d’énergie qu’est l’électricité. Comment peut se réaliser un tel stockage ?

Si on utilise un réseau de canalisations à longue distance, ce réseau présente généralement une capacité de stockage importante d’hydrogène puisque la pression maximale la plus commune utilisées dans ces réseaux est de 100 bars. Par un simple jeu de variation de pression dans ces canalisations, on peut ainsi disposer de capacités assez importantes de stockage de ce gaz.

Mais l’industrie de l’hydrogène dispose d’un autre moyen très puissant de stockage que constituent les cavités salines souterraines. Les cavités salines sont déjà largement utilisées dans le monde pour stocker du gaz naturel ou des hydrocarbures liquides. Mais quatre grandes cavités salines sont déjà actuellement mises en œuvre aux USA [10] et en Grande Bretagne pour stocker de l’hydrogène gazeux. On peut ainsi stocker plusieurs milliers de tonnes d’hydrogène dans une seule cavité saline.

Un schéma se dessine ainsi pour transporter, distribuer et stocker l’hydrogène vert : un réseau de canalisations d’hydrogène connecté à de grandes cavité salines de stockage.

A quel coût peut-on produire l’hydrogène vert notamment comparé au coût de l’hydrogène gris ?

La question du coût de production de l’hydrogène vert est bien sur centrale. Actuellement le coût de production de l’hydrogène vert à partir de très grandes installations photovoltaïques peut être estimé en France à 4 à 5 €/kg. Le coût de production de l’hydrogène gris produit à partir de gaz naturel se situe aux environs de 1,5 à 2 €/kg [11].

On voit donc que l’hydrogène vert est encore loin d’être compétitif. C’est ce qui explique les programmes massifs de soutien gouvernementaux aux projets d’hydrogène vert particulièrement dans les grands pays européens pour combler le gap entre les coûts de l’hydrogène vert et celui de l’hydrogène gris. Mais l’équation du calcul de ces coûts est en pleine évolution.

D’une part, l’augmentation considérable du prix du gaz naturel pousse nettement à la hausse le prix de l’hydrogène gris, d’autre part les réglementations, notamment européennes, qui renchérissent progressivement le coût du CO2 émis dans l’atmosphère, vont aussi clairement dans le même sens puisque, rappelons-le, pour une tonne d’hydrogène gris produit, 10 tonnes de CO2 sont émises dans l’atmosphère.

D’autre part, d’autres mécanismes tirent vers le bas le coût de production de l’hydrogène vert. La réduction des coûts de construction des électrolyseurs n’aura que de faibles conséquences sur ce coût global car le montant de l’investissement lié aux électrolyseurs constitue une faible part de l’investissement total d’un grand projet d’hydrogène vert. La réduction des coûts pourrait ainsi provenir essentiellement des améliorations attendues dans la production d’électricité renouvelable en particulier dans le domaine photovoltaïque : réduction du coût de fabrication des panneaux photovoltaïques, augmentation de leur rendement mais surtout installation dans des zones où le foncier est moins cher qu’en France et où l’ensoleillement est beaucoup plus favorable : Espagne, Portugal, Afrique du Nord…

On retombe alors sur la question du transport à longue distance pour amener l’hydrogène en France. Comme on l’a vu plus haut, le transport d’électricité verte est limité pour des raisons économiques à environ 500 km. Ainsi pour amener l’hydrogène en France (ou dans des pays comme le Benelux ou l’Allemagne) à partir des pays cités il faut plutôt penser à de très longues canalisations. Les coûts considérables de ces réseaux de canalisations et leurs contraintes réglementaires et sociétales restent encore à ce jour pas assez approfondies.

En conclusion, avec un coût d’hydrogène vert à la baisse et un coût d’hydrogène gris à la hausse, on peut envisager un croisement de ces deux courbes de coût dans un horizon qu’il serait difficile encore de préciser aujourd’hui compte tenu de la grande complexité du sujet et des nombreuses incertitudes qu’il présente. Mais le jour où le coût de l’hydrogène vert deviendra plus compétitif que celui de l’hydrogène gris, un véritable déferlement de cette technologie est à prévoir sur la planète.

Article rédigé par : Xavier DRAGO – Associé ARCLÈS, expert Hydrogène

[1] : Cette production est réalisée dans des unités utilisant le procédé de reformage du gaz naturel à la vapeur (en anglais Steam Methane Reformer ou SMR)

[2] : Au-delà des hydrogènes gris et vert, des appellations d’autres couleurs d’hydrogène sont apparues liées à son mode de production : l’hydrogène noir produit à partir de charbon, l’hydrogène jaune produit à partir d’électricité nucléaire et l’hydrogène blanc issu de très rares émanations naturelles venant du sol.

[3] : Électrolyse dite alcaline utilisant un mélange d’eau et de potasse et électrolyse par membrane échangeuses d’ions (en anglais Proton Exchange Membrane ou PEM)

[4] : Taille typique des grands projets de production d’hydrogène vert actuellement à l’étude dans le monde

[5] : C’est dire une production de 630 MW quand le soleil est à son maximum (puissance crête) au cours de l’année. Il faut aussi que la puissance des électrolyseurs soit augmentée dans les mêmes proportions soit ici des électrolyseurs de 630 MW !

[6] : Il n’est pas ainsi facile de trouver en France un espace de 600 ha disponible pour un tel projet qui ne prenne pas la place de terres agricole ou de forêts

[7] : La sidérurgie pourrait aussi devenir un grand consommateur d’hydrogène vert. En remplaçant les dérivés du charbon (notamment le coke) comme réducteur du mirerai de fer, l’hydrogène pourrait ainsi permettre de fabriquer de « l’acier vert »

[8] : Dont environ la moitié appartiennent au Groupe Air Liquide principalement en Europe et aux USA

[9] : Environ 1,5 M€ du km

[10] : Dont une aux USA exploitée par Air Liquide

[11] : Coût début 2022, les changements économiques font probablement varier à la hausse dès maintenant ces chiffres

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