Quel avenir pour le véhicule électrique ? Et avec quelle électricité ?

Le véhicule électrique (VE) est largement entré dans notre société du XXI° siècle et les constructeurs automobiles proposent tous les jours de nouvelles avancées qui font rêver à des lendemains « tout électrique », c’est à dire idéalement propres, silencieux et respectueux de nos environnements.

Derrière cette aspiration légitime, se posent des questions majeures tant pour notre organisation sociétale que pour nos façons de vivre. L’ensemble de la mobilité terrestre, du véhicule particulier au camion, en passant par le bus et autres transports en commun, ont vocation à migrer progressivement au « tout électrique ».

ARCLÈS vous propose d’en découvrir les principales facettes, et notre analyse tiendra en compte des grandes hypothèses que le gouvernement français et ses agences comme l’ADEME, la CRE et les grands industriels ont retenu pour développer le VE.

De l’énergie électrique en plus

Avec un parc de plus de 38 millions de véhicules, dont plus de 80% particuliers, la France vise les 2 millions de VE en 2020 et 10 millions en 2025 (chiffres CRE 2010). Sur la base moyenne d’un usage de 15.000 à 20.000 km par an (source l’Argus 2016), la recharge de chaque véhicule nécessiterait une consommation électrique d’environ 2 MWh par an, soit une hausse d’environ 50% de la consommation d’électricité par foyer.

Pour le réseau électrique national, le surcroît de consommation (environ 2 TWh par an par million de VE) représente environ 1% de l’énergie totale distribuée sur le réseau basse tension et environ 0,4% de la production française d’électricité. Calculé en unité d’EPR (1,6 GW), ce besoin s’élèverait en recharge lente mais simultanée entre 2 et 4 unités (3-6 GW) par million de VE. Ce rapide calcul permet de s’interroger véritablement sur la faisabilité d’un parc de 10 millions de VE à l’horizon 2020.

Une recharge à moduler dans le temps

On constate que les particuliers utilisent leur véhicule en moyenne 37km par jour, lequel passe 90% de son temps à l’arrêt. En conséquence, compte tenu de l’autonomie moyenne des VE (genre Renault Zoé) de l’ordre de 150km, une recharge complète serait suffisante un jour sur trois et pourrait s’échelonner tout au long de la journée – voire de la nuit (heures creuses) – sous réserve d’une bonne programmation pour éviter les pics de consommation en soirée. En revanche, les études menées par les experts ne tiennent pas compte des besoins plus professionnels (taxis et poids lourds) dont la recharge ne pourrait être différée.

Une recharge à moduler selon la puissance

D’autre part, plus rapide est le temps de charge, plus grande et coûteuse est la puissance à délivrer pour le distributeur. Les besoins peuvent alors largement différer avec les petits VE à vocation citadine peuvent trouver un régime satisfaisant avec des recharges d’opportunité, à domicile, au travail (parking entreprise), au supermarché (parking) ou sur la chaussée (emplacements réservés) pour des durées allant de quelques dizaines de minutes de complément à petite puissance (typiquement 3kW).

En revanche les véhicules professionnel (les fourgonnettes et taxis) ont besoin d’une recharge plus rapide et plus fréquente : donc d’une plus grande puissance (chargeurs 22-53kW). Enfin les grands déplacements routiers (voitures à autonomie de 300km à 500km ainsi que les bus et futurs transports routiers) auront besoin de bornes de recharge de grande puissance encore très peu déployées. En effet, pour faire le « plein » en moins de 30 minutes avec un VE de marque Tesla, le nombre de stations en France reste encore très limité en 2016 : moins d’une centaine. Le plan d’équipement national prévoit 7 millions de bornes de recharges en 2030, toutes puissances réunies mais très peu en recharge rapide.

Des EnR pas faciles à mobiliser pour les VE

La recharge des VE aux heures creuses, de façon étalée tant en géographie que sur la journée, entraîne une consommation électrique à des moments où les énergies renouvelables (EnR) fournissent peu (la nuit) ou de façon peu prévisible (le vent). La fourniture de ce complément n’a pas de solution directe et on peut imaginer deux pistes :

  • La première va consister à réserver le VE au secteur urbain et à favoriser des solutions hybrides pour les trajets de longue distance
  • La seconde viserait à augmenter les capacités de production locales en EnR et en stockage d’énergie électrique dans des formules locales (îlots d’habitations ou habitations elles-mêmes) pour que la recharge ne puise pas dans le réseau de distribution en consommant ses éventuels excédents de production (autoconsommation).

Bien sûr, sur le long terme, le besoin en VE de demain aura beaucoup changé avec la progression des solutions intermodales (mixtes avec chemin de fer, autoroutes automatiques ou autres) et notamment le moindre besoin de véhicules de grande autonomie (~1000km) nécessaire aujourd’hui pour rassurer les voyageurs longue distance.

Les poids-lourds et les véhicules professionnels

L’effort majeur qui ressort des expérimentations actuelles (avec les constructeurs d’automobiles) porte sur les véhicules particuliers, même si de nombreux essais ont été conduits pour des professionnels (ex : la Poste) ou des flottes locatives (ex : Autolib). De nombreux travaux d’électrification des transports en commun sont menés par les grandes villes et leurs régies de transports et des changements véritables sont en cours (ex : Bolloré à Paris).

Cependant, le transport routier et de messagerie (fourgonnette/camionnette) est encore peu concerné par le concept tout électrique. Or les objectifs que la mobilité électrique s’est donnée ne seront pas atteints sans toucher à ces formes de transports qui réclament l’un la puissance et l’autre la versatilité.

En conclusion, si tout semble indiquer que l’accroissement des VE est supportable au présent ; en revanche, la mise à disposition en lieu, en temps utile et en volume des ressources énergétiques n’est pas assurée dans l’objectif d’un parc tout électrique. Le transport et la distribution de l’électricité sont ainsi placés au cœur de la problématique nouvelle du VE : ils devront évoluer sensiblement et remettre en cause le paradigme pyramidal qui a prévalu à l’origine de leur développement jusqu’à présent.

Distribuer 100 TWh supplémentaires dans le réseau (*)

Si la production de l’énergie supplémentaire semble accessible, notamment en ayant recours aux EnR, la distribution aux bons endroits et aux bons moments n’est pas évidente. Si on estime qu’une partie du parc des VE particuliers ira se recharger aux bornes domestiques, le plan d’équipement des maisons individuelles est encore faible et celui de l’habitat collectif vient tout juste de bénéficier des premières mesures d’incitation.

A cela, il faut ajouter que le coût d’une telle installation peut aller de 300€ (simple dérivation limitée à 16A) jusqu’à 1.500-2.000€ pour les installations plus rapides 32A ou 43A) ce que tous les ménages ne pourront pas s’offrir en sus du prix subventionné de l’automobile.

Au plan public, les stations le long des trottoirs sont satisfaisantes tant que le parc VE ne représente que 1% à 2% de l’ensemble. D’autre part, les solutions de recharge par induction des VE en stationnement sur la voie publique ne sont pas industrielles et représentent des travaux d’infrastructure colossaux.

L’installation de stations dotées chacune de plusieurs bornes de recharges, actuellement un peu moins de 10.000 en France, se heurte à un premier obstacle. Le temps de recharge (minimum 15min et souvent 1h) mobilise un emplacement beaucoup plus longtemps qu’un plein d’essence. Ainsi, la surface à lui consacrer par recharge augmente ainsi largement et requiert des ressources foncières et financières.

Fera-t-on encore le « plein » électrique le long des autoroutes ?

Si les VE de demain gagnent une autonomie de plus de 600km voire 800km, les déplacements de longue distance se passeront définitivement des stations services que nous connaissons et qui deviendront de simples haltes de repos. En revanche, si le seuil des 500km n’est pas atteint, alors les grands chassées-croisées (vacances / week-end) nécessiteront des ‘pauses’ recharges d’une durée minimale de 30min et pour un flux important de véhicules. Avec comme conséquence une surface 10 à 15 fois plus grande que les stations actuelles et une alimentation électrique très élevée.

En effet, on pourrait estimer qu’avec 100 milliards de km parcourus par an en trajets « longue distance » (Insee 2008) par les voitures particulières, il conviendrait de ravitailler chaque jour en moyenne 160.000 véhicules et plus d’un million en jour de pointe. Cela nécessiterait 50.000 bornes de recharges sur autoroute ou routes nationales, regroupés par centaines sur des aires de services.

La puissance électrique à délivrer dans ces postes à recharge rapide (50kW) nécessiterait alors 5MW de puissance électrique sur chacune par exemple des 367 aires d’autoroute actuelles…

Concilier EnR et VE : une réalisation qui nécessite du stockage

Si la production de cette électricité est atteignable à partir des EnR, la question reste de son acheminement soit dans les lieux publics ouverts à la recharge, soit sur les aires spécialisées pour les déplacements  à longue distance. Comme les réseaux de transport et surtout de distribution ont été conçus en fonction de l’urbanisation, ils devront être déplacés ou complétés et il sera indispensable de créer des solutions de stockage pour délivrer aux moments de forte demande les kW exigés.

A une plus petite échelle, qui est celle des trajets de petite distance, en zone urbaine ou périurbaine, deux formules mixtes de stockage sont expérimentées ou en voie de recherche.

Au domicile familial, l’ajout de batterie de type powerwall développé par Tesla apporte une solution pour distribuer aux heures coûteuses l’électricité emmagasinée aux heures creuses ou grâce aux EnR, tant pour la maison que pour la recharge du VE au garage. La première solution VTH étudiée par Nissan vise à utiliser la réserve électrique du VE, stationné sans rouler, au profit du domicile (Vehicle To Home) ; elle évite d’investir dans un jeu de batterie précédemment citée, mais immobilise le véhicule. La seconde encore plus avancée et qui suppose des progrès dans l’équipement intelligent des réseaux est le VTG (Vehicle To Grid), où le VE, garé à la maison, redonne son électricité au réseau, dans la mesure où le prix est intéressant.

Bien au delà du simple équipement domiciliaire, le stockage et l’intelligence des réseaux sont des facteurs indispensables à l’atteinte des objectifs de développement du VE.

A l’instar du Japon, y a t-il une place pour le véhicule hybride à hydrogène ?

En marge des solutions hybrides déjà commercialisées, les japonais ont plusieurs projets très similaires au véhicule tout électrique et qui respectent les critères d’environnement.

Avec la fabrication d’hydrogène en petites unités (par électrolyse), il est possible d’utiliser l’électricité à des heures de faibles coûts ; ensuite l’hydrogène produit et stocké, peut être utilisé soit pour faire fonctionner une pile à combustible (PAC) et redonner de l’électricité aux heures les plus coûteuses, mais aussi participer au ravitaillement d’un véhicule à hydrogène motorisé par une PAC et des moteurs électriques. Expérimenté par Toyota, ce système a l’avantage d’être propre par comparaison aux véhicules hybrides et de donner une solution technique alternative au stockage électrique encore compliqué à grande échelle.

L’avenir dira si la construction d’unités de production d’hydrogène trouvera sa place, à l’instar de l’usine WH2 en France, soutenue par le CEA.

Quelques soient les installations terminales visées, des équilibres sont à trouver prioritairement entre les réseaux hérités de la distribution classique et les aménagements issus de l’exploitation des EnR tant au plan local que régional. Ils pourraient résoudre la question des besoins à condition de développer en parallèle les serveurs « intelligents » indispensables à une double décentralisation des réseaux et de la production d’EnR.

Faut-il pour ce déploiement confier les tâches à l’Etat, aux collectivités locales ou aux grands réseaux des entreprises concessionnaires ?

Identifier et payer la consommation des VE

Les VE actuels (y compris les hybrides rechargeables) bénéficient d’un réseau, certes limité, mais privilégié. En dehors des solutions à domicile, les recharges sur la voie publique sont régies par des systèmes de carte d’abonnement et les stations privées appliquent différentes solutions allant de la gratuité (concessionnaires, grandes surfaces) à des formules associées à des cartes bancaires.

Pourtant, le développement du VE ne peut se concevoir sans une augmentation suffisante des solutions de recharge sans compliquer la vie des usagers par des contraintes d’identification et de paiement complexes. D’autre part, les habitations isolées peuvent dès à présent disposer de chargeurs adaptés, plus ou moins coûteux selon la puissance, mais dérivés de leur abonnement domestique.

En habitat urbain, en particulier dans les immeubles, des solutions ont été élaborées par le législateur, mais leur mise en œuvre risque d’être plus longue que la patience des conducteurs… Les plus collectives nécessitent une organisation des priorités d’accès aux bornes et les plus privatives des compteurs séparés, doublant quasiment toute la distribution électrique.

Ensuite, les stations de recharge, à disposition sur la voie publique et encore limitées à des aires spécifiques, ne suffiront probablement pas quand le VE atteindra déjà 5% ou 10% du parc total automobile. Un équipement complet de la voirie en agglomération représente alors un investissement important, non planifié et de plus sensible aux dégradations. Ce coût doit être ajouté dans tous les cas aux aides étatiques visant un fort développement du VE.

Alors, le coût de ces installations fixes passera t-il par une vignette VE ?

En effet, si la phase de lancement du VE bénéficie aujourd’hui de subventions bien utiles, il faudra bien trouver un remplaçant à la TICPE pour payer l’entretien des routes et de ses équipements. La création d’une nouvelle vignette réservée aux VE serait probablement contre-productive en 2016 ; mais il est à observer que le simple équivalent de cette taxe (sur la base d’environ 50 centimes €/litre des taxes actuelles) placerait cette vignette entre 400€ et 1000€/an…

En revanche, en dehors des bienfaits connus du VE, son développement sera d’autant plus rapide que son coût (acquisition et entretien) sera le plus bas possible et pas plus élevé qu’un véhicule à essence.

Les conducteurs de VE demain : propriétaires ou simples usagers ?

Grâce à l’augmentation de l’achat locatif, mais aussi des formules de partage type Blablacar ou location entre particuliers, la possession d’un véhicule personnel s’impose de moins en moins. Demain, le VE accentuera le rôle de l’automobile comme marqueur social et les futurs usagers pourraient se tourner durablement vers des formules totalement locatives, y compris sur les courtes durées comme déjà « autolib ». Ce changement a une portée sociétale, mais aussi économique, puisqu’il faudra alors optimiser l’inter-modalité du transport routier. Il est même possible que le VE ne soit qu’à l’aube d’une réelle révolution du transport individuel avec la disparition du conducteur notamment.

En attendant, il est certain que les frontières entre véhicule particulier, véhicule de fonction, taxi et véhicule de location vont s’estomper parce que les contraintes de meilleur service au meilleur coût seront rendues possibles avec le VE et les nouveaux services qui lui sont associés.

Le plaisir de conduire et les VE

Le modèle de véhicule Mercedes présenté au CES 2016 à Las Vegas sous la forme d’un salon roulant n’avait ni conducteur, ni volant. Les déplacements automobiles de demain seront peut-être appelés à changer radicalement, en dehors du rôle valorisant longtemps conféré à l’automobile pour son propriétaire-conducteur, le voyage en passager d’une machine, aussi confortable soit-elle, menace t-il la liberté liée à l’auto-mobile, espace conquis au XX° siècle qu’il s’agira peut être d’abandonner ?

Néanmoins, gageons que cette évolution sera très lente car ce n’est pas l’option adoptée par le constructeur Tesla qui au contraire a affirmé le rôle de marqueur social du VE en proposant des modèles aux allures sportives, avec des performances inégalées et supérieures aux véhicules de type Porsche ou Ferrari. On peut penser alors les futurs VE ne seront pas réduits à des trains de cabines sur des autoroutes …

Vers un nouvel équilibre de la facture en hydrocarbures

Les transports utilisent en France 70% des produits pétroliers importés dont 80% pour les véhicules terrestres (le reste pour l’aérien, le maritime et le ferroviaire). La facture totale de 50Mds€/an serait ainsi allégée de plus de la moitié (28Mds€) grâce à l’usage intensif du VE.

En contrepartie, il faudra trouver de ressources nouvelles pour d’abord produire les compléments indispensables d’électricité mais aussi pour pouvoir entretenir et équiper le réseau routier et son infrastructure (signalisation, lignes électriques enfouies, réseaux intelligents de distribution, réseaux commerciaux nouveaux).

En effet, si le besoin en consommation de 38 millions de VE (2MWh en moyenne /an), représenterait 76TWh chaque année pour un coût de 4Mds€ (prix de revient électricité d’origine nucléaire en France 50€/MWh cour des comptes 2013), il est par ailleurs beaucoup plus difficile d’évaluer les autres coûts induits par l’usage intensif du VE.

En tout état de cause, la seule certitude est que l’enjeu est bien celui d’un pan important de l’économie nationale (entre 2% et 3% du PIB) et dont certains paramètres clés, comme l’organisation des réseaux électriques, peuvent aujourd’hui conditionner le succès ou l’échec.

L’arrivée de capacités de stockage électrique va se développer fortement

Le constructeur Tesla a mis sur le marché en 2015 des accumulateurs électriques recyclés (des VEs) au profit de l’habitat (Powerwall) avec des conditions de prix abordables (3500$ le bloc de 10kW) faisant exploser ce nouveau marché depuis mi-2016. Avec un tel système, les particuliers peuvent envisager de recharger leurs VE au prix des heures creuses, voire gratuitement pour les auto-producteurs d’électricité (photovoltaïque) qui décideraient de stocker plutôt que de vendre leur production.

Il est alors évident que cette solution séduisante de stockage va connaître une forte croissance dès l’instant où les conditions d’installation seront facilitées. Ensuite, les professionnels (exemple services techniques municipaux, La Poste, les loueurs de VE…) s’ajouteront à la demande des particuliers afin de réduire leur dépendance au réseau aux heures les plus sollicitées (principe d’effacement).

Une première conséquence importante sera l’accroissement de l’autoconsommation électrique et l’augmentation d’îlots d’habitation déconnectés du réseau électrique ; la seconde sera la diminution des besoins en puissance du réseau électrique de distribution venant atténuer la forte progression à prévoir sur 20-30 ans de la consommation électrique par les VEs.

Article rédigé par : Benoît Bescond – Consultant ARCLÈS

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